ANALYSE FINANCIERE  © John Petroff Traduction: Françoise BRUNELLE Source: PEOI

 


Chapitre 11 E-1- Coût moyen minimum du capital

© 2000 John Petroff

1) - Coût moyen minimum du capital

Le point de départ de cette approche est que des ressources sont reçus par une entreprise afin d'entreprendre des projets (comme on l'a vu dans les décisions d'investissemnt au précédent chapitre). Ce qui limite le nombre de projets à entreprendre est le coût de ces ressources. Ainsi, la structure optimale du capital est celle qui donne le coût de ressources minimum parce que c'est celle qui permet de démarrer le plus grand nombre de projets et garantit la croissance maximum de l'entreprise.

Les divers types de ressources (crédit, dette à long terme, actions privilégiées, actions ordinaires et excédents non distribués) employés par une entreprise ont chacun un coût différent (comme on l'a montré dans la première section de ce chapitre). Il est nécessaire d'étudier comment leur combinaison dans différentes proportions peut abaisser le coût total du capital. Pour ce faire, les coefficients de pondération adoptés seront les proportions de chaque type de rassources dans le bilan. (En pure théorie, les coefficients ne devraient pas être la proportion de chaque type de ressources utilisé mais la proportion de chaque type de ressources disponible sur le marché. Mais les circonstances historiques et particulières à l'entreprise, qui justifient la composition des actifs et des ressources et qui seront discutées plus tard, ne justifient pas l'inclusion de tout l'éventail des sources financières.)

Pour rendre l'analyse réalisable, l'éventail des ressources est limité à deux : dette à long terme et actions ordinaires. Le coût moyen pondéré du capital (WACC) est donné par la formule :

WACC = d * kd (1-T) + e * ke

où d = proportion de dette dans le total des capitaux
e = proportion de capitaux propres dans le total des capitaux (remarquez que d + e = 1)
kd = rendement des obligations à long terme
ke = taux de rendement des actions ordinaires
T = taux moyen d'imposition sur les revenus des entreprises

Pour illustrer le calcul du coût moyen pondéré du capital, prenons des données dans le Rapport Annuel 1999 de Lucent Technologies. Le Tableau T-11.19 montre les rendements des capitaux propres et de différents emprunts obligataires. Les montants et les rendements des obligations sont tirés de la note n°9 aux relevés des comptes financiers. Puisque les montants réels sont connus, ils sont employés comme coefficient de pondération au lieu de la proportion de dette dans le total des ressources. Le Tableau T-11.19 montre que le coût réel du coût-capital de Lucent n'est ni la simple moyenne de 9,35%, ni la moyenne d'un équivalent après impôts de 7,21%, mais le coût capital moyen pondéré de 19,86% qu'on peut arrondir à 20%.

Tableau T-11.19

Coût moyen pondéré des capitaux de Lucent technologies

revenu %

revenu après impôts %

montants

coefficients de pondération

WACC %

Capitaux propres

24,45 24,45 13584 0,77 18,83

Dette à long terme

6,90 4,38 750 0,04 0,18

Dette à long terme

7,25 4,60 750 0,04 0,18

Dette à long terme

5,50 3,49 500 0,03 0,10

Dette à long terme

6,50 4,13 300 0,02 0,08

Dette à long terme

6,45 4,10 1360 0,08 0,33

Dette à long terme

8,40 5,33 502 0,03 0,16
Total 17746 1 19,86
Moyenne 9,35 7,21 19,86

a) - Effet du levier financier sur le taux de rendement des actions ordinaires

Le taux de rendement exigé par les investisseurs augmente avec l'augmentation du levier financier. Au départ, la raison pour une légère augmenation de la prime de risque est l'augmentation de la volatilité qu'on a vue dans le Tableau T-11.8. Dès que le niveau de levier financier utilisé devient conséquent, un coût de faillite s'ajoute à la volatilité. On se souvient que l'augmentation du risque de défaillance sur un supplément de dette incite les prêteurs à imposer des restrictions à l'activité de l'entreprise et à augmenter les taux d'intérêt. Les coûts de faillite ne sont pas à la seule charge des prêteurs. Tandis que les prêteurs peuvent être protégés par des garanties collatérales et d'autres clauses, les actionnaires assument l'essentiel du risque entreprenarial, et leur prime de risque pour le coût de faillite augmente beaucoup plus. Finalement, dans la mesure où la dette est employée pour financer l'automation et l'expansion des ventes, la section précédente a montré que les actionnaires subissent un risque supplémentaire provenant de l'augmentation du risque commercial. Ces explications justifient la courbe croissante du Graphique G-11.6 représentant le taux de rendement des actions ordinaires ke.

Graphique G-11.6

b) - Effet du levier financier sur le rendement des obligations à long terme

Les rendements des obligations à long terme ne souffrent pas au départ de l'effet de volatilité. Mais le coût de faillite commence à intervenir plus tôt que pour les actions, et, à un plus haut niveau de dette, la courbe de rendement des obligations augmente très rapidement comme on peut le voir dans le Tableau T-11.8. Le taux de rendement des obligations à long terme doit être diminué de l'impôt. Ainsi, dans le graphique G-11.2, le rendement obligataire après impôts kd (1-t).

c) - Modèle du coût capitaux moyen

Le coût capitaux moyen pondéré est calculé dans le Tableau T-11.14 ci-dessous et a été montré graphiquement dans le graphique G-11.6 ci-dessus.

Tableau T-11.14
Données pour la détermination du coût capitaux moyen pondéré (WACC) avec augmentation du levier financier et du taux d'intérêt sur la dette
Dette/ Total des actifs 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8
Dette 4.800 7.200 9.600 12.000 14.400 16.800 19.200
Capitaux propres 19.200 16.800 14.400 12.000 9.600 7.200 4.800
Total des actifs 24.000 24.000 24.000 24.000 24.000 24.000 24.000
Nombre d'actions 960 840 720 600 480 360 240
Ventes 40.000 40.000 40.000 40.000 40.000 40.000 40.000
Coût des marchandises vendues 20.000 20.000 20.000 20.000 20.000 20.000 20.000
Bénéfice brut 20.000 20.000 20.000 20.000 20.000 20.000 20.000
Dépenses Fixes 16.500 16.500 16.500 16.500 16.500 16.500 16.500
Revenu avant intérêt et impôts (EBIT) 3.500 3.500 3.500 3.500 3.500 3.500 3.500
Intérêt 384 576 768 1200 1728 2688 4608
Bénéfice avant impôts (PBT) 3.116 2.924 2.732 2.300 1.772 812 -1.108
Impôt 1246 1170 1093 920 709 325 -443
Bénéfice après impôt (PAT) 1.870 1.754 1.639 1.380 1.063 487 -665
Revenu par action (EPS) 1,95 2,09 2,28 2,3 2,21 1,35 -2,77
I% 0,08 0,08 0,08 0,1 0,12 0,16 0,24
Retour sur capitaux propres (ROE) 0,097 0,1 0,11 0,12 0,14 0,19 0,28
Taux de rendement de l'actif (ROA) 0,08 0,07 0,07 0,06 0,04 0,02 -0,03
Niveau de levier financier (DFL) 1,12 1,2 1,28 1,52 1,98 4,31 -3,16
Indice de levier financier (FLI) 1,21 1,43 1,57 2 3,5 9,5 -9,33
Coût capitaux moyen pondéré (WACC) 0,09 0,08 0,09 0,09 0,1 0,12 0,17

Le tableau et le graphique indiquent que le modèle est décroissant au départ parce qu'une proportion toujours plus grande de frais d'intérêts peu élevés en raison du bouclier fiscal est mélangée à des capitaux propres plus chers. Après être passé par un minimum qui semble se trouver autour de 30% de dette, le coût capitaux moyen commence à augmenter modérément au début, puis asymptotiquement à la pente raide du rendement obligataire après impôts lorsque la part de capitaux propres disparait.

d) - Signification du coût capitaux minimum

La présence d'un minimum du coût capitaux moyen pondéré montre que, après avoir tenu compte de tous les effets nocifs du levier financier (variabilité du bénéfice, volatilité du cours de l'action, coût de faillite et augmentation du risque commercial), il existe une stratégie optimale de levier financier qui dit que la proportion de dette dans les ressources d'une entreprise doit être supérieure à zéro. Dans les chiffres de notre exemple utilisé dans le Tableau T-11.14, il est important de noter que le coût capitaux moyen pondéré est inférieur même au plus bas des coûts capitaux. Ceci montre bien qu'une entreprise qui emploierait seulement le financement sur fonds propres aurait une valeur moins qu'optimale. La raison en est que les projets d'investissement seraient acceptés si le coût capitaux pondéré était au taux de rejet, mais seraient rejetés si c'était le coût des capitaux propres qui était au taux de rejet.

Ce minimum est donc plus significatif que s'il n'était que le chiffre le plus bas : il indique que plus de projets seront choisis et que plus de valeur sera ajoutée à l'entreprise si elle s'efforce d'avoir une structure du capital qui lui corresponde. Ceci implique également que la valeur de l'entreprise toute entière est maximum quand le coût capitaux moyen est minimum, ce qui correspond à la proportion optimale de dettes et de capitaux propres. On peut le voir dans le graphique G-11.7 ci-dessous qui utilise les chiffres générés dans le Tableau T-11.14 ci-dessus.

Graphique G-11.7

Dans le graphique G-11.7, le revenu par action atteint un maximum à un niveau de dette quelque part entre 40% et 50%, correspondant au minimum du coût capitaux moyen pondéré montré dans le Graphique G-11.6

e) - Application pratique de cette théorie

Une première difficulté de cette théorie est qu'elle est formulée dans un contexte statique. Comme une entreprise doit toujours chercher à grandir, une structure du capital optimale à un certain moment peut ne plus l'être quand il faudra rechercher de nouveaux financements. Ces nouveaux financements coûteront plus que le coût capital moyen : le coût capital marginal sera toujours plus élevé que le coût capital moyen. Et le coût marginal sera le nouveau taux de rejet pour les nouveaux projets. La base qui servira pour optimiser la valeur de l'entreprise sera la coût marginal et non plus le coût moyen. Mais, en général, on ne peut pas obtenir de ressources avec les mêmes proportions de capitaux propres et de dettes qu'auparavant : ceci implique que le nouveau partage entre dette et capitaux propres ne sera pas optimal (les nouvelles ressources arrivant par paquets).

Deuxième difficulté : l'idée qu'une entreprise n'est financée que par deux types de ressources doit être assouplie et, quand on le fait, le nombre de ressources différentes utilisées ajoute non seulement quelques légères complications au calcul du coût capital pondéré, mais offre de nouvelles possibilités de choix (par ex. faut-il utiliser plus de crédit commercial ou davantage de lignes de crédit revolving de la banque). Mais surtout le coût de chaque possibilité change dans le temps : ce qui laisse à penser qu'il n'y a pas qu'un optimum mais qu'il change tout le temps. Le changement n'est pas dû seulement aux conditions économiques externes, mais aussi à des opportunités de projets et des stratégies. Autrement dit, le modèle théorique doit être dynamisé.

Alors qu'en théorie il est très compliqué d'inclure un grand nombre de types de ressources, de conditions extérieures et de changements internes, l'application pratique est bien plus directe. Elle se fait généralement en entrant les données financières dans un tableur où les simulations permettent de faire une infinité de modifications. Le point de départ n'est pas une valeur hypothétique mais les vraies données récentes de l'entreprise en question, et les variations de rendement sont celles qui sont prévues dans un proche avenir. C'est ainsi que des modifications de toutes les combinaisons de ressources raisonnables peuvent être testées pour les cas d'instabilité des ventes et de nouvelle stratégie de l'entreprise. Comme on l'a déjà dit, une simulation Monte Carlo peut générer une distribution de probabilités nécessaire pour évaluer une valeur attendue.

Une approche plus directe consiste à étudier le coût réel des diverses sources de financement pour trouver des informations qui permettraient de savoir si les effets néfastes de la variabilité du coût de faillite commencent à influer sur les fonds utilisés par l'entreprise. Etudier le coût du crédit pour une entreprise est une façon utile de déterminer ce que les prêteurs, qui sont les analystes financiers les plus diligents, pensent de celle-ci. Il est utile de savoir quelles conditions ont été offertes pour chacun des financements obtenus (crédit bancaire, prêts à court terme, prêts à remboursement échelonné et obligations à long terme). Ces chiffres doivent apparaitre dans les notes aux comptes financiers. Là doivent figurer la valeur faciale, la maturité et le taux du coupon, ainsi que toute prime ou escompte donnés au moment de l'émission et les autres conditions importantes comme :
- le fait que l'obligation soit sécurisée ou non,
- la méthode de rachat,
- le droit à conversion.

Une méthode indirecte mais plus rapide que le coût capital pondéré pour arriver au coût de crédit moyen consiste à diviser les dépenses d'intérêts par l'encours net de la dette. Dans le montant de la dette, il ne faut pas inclure les engagements qui ne rapportent pas d'intérêt comme les charges à payer, les avances, les impôts sur le revenu différés et les provisions.

L'analyste sait déduire de l'intérêt demandé et des autres avantages inscrits dans le contrat obligataire si l'entreprise a eu à payer plus que normal. Pour y parvenir, il est généralement nécessaire de lire les rapports annuels des années antérieures et les rapports annuels d'autres entreprises du secteur. Il existe des références indicatives pour seulement 2,000 grandes entreprises américaines établies par les entreprises de notation (comme Standard & Poor ou Moody's) mais elles ne sont pas forcément applicables à une entreprise ou un secteur donné.

Il y a une méthode qui consiste à regarder le rendement des obligations émises par une entreprises dans les dernières années par rapport à celles de son secteur. On peut le faire en calculant la prime de risque de chaque émission, à savoir le surplus de rendement d'une obligation par rapport à la moyenne du secteur (ou le surplus par rapport à un taux sans risque comme celui des bons du trésor). Si la prime de risque baisse ou reste stable, cela indique que l'entreprise n'a pas atteint le coût capital optimal le plus bas. Au contraire, si la prime de risque a récemment beaucoup augmenté, cela indique que l'entreprise a peut-être dépassé son coût capital optimal. Naturellement l'intérêt payé n'est pas le seul facteur à prendre en considération. Plus une entreprise doit offrir d'avantages, plus on voit que les prêteurs trouvent les nouvelles émissions plus risquées. Les avantages offerts peuvent aussi limiter la liberté de l'entreprise et l'empêcher de faire des investissements et des innovations audacieux. Ainsi, des restrictions sur l'acquisition ou la vente d'actifs qui peuvent faire partie des clauses d'un contrat de prêt gêneraient clairement le planning stratégique de l'entreprise.

Le rendement des obligations d'une entreprise et les avantage supplémentaires accordés aux prêteurs doivent aussi être étudiés par l'analyste pour déterminer si l'entreprise sera capable d'emprunter dans l'avenir. Si une entreprise a déjà accordé des privilèges de conversion généreux, des clauses d'achat ou de vente intéressantes et engagé tous ses actifs, il lui reste peu à offrir à l'occasion de nouvelles émissions d'obligations. Si elle a épuisé toutes ses capacités d'emprunt, cela signifie, soit qu'elle a peu de chance de prévoir une expansion future, soit qu'il lui faudrait la financer en interne ou en vendant de nouvelles actions ; ces sujets sont étudiés dans les sections suivantes. Ainsi, l'analyse du coût des capitaux et des contrats obligataires est importante pour déterminer l'actuelle flexibilité stratégique et le potentiel de croissance future.

En Russie, en 1995, les entreprises n'avaient pratiquement pas accès à l'emprunt à long terme local étudié dans cette section. Les intérêts qu'elles payaient pour les crédits bancaires n'étaient pas dévoilés dans leurs rapports internes. Il allait donc falloir des années avant que les analystes russes puissent trouver des informations utiles à partir de notre approche.

Voir les questions de révision de Q-11E1.1 à Q-11E1.11.

Voir le travail de recherche R-11E1.1.

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